L’IA dans l’éducation : un enjeu à ne pas sous-estimer
Publié
par
Patrick Jacquemot
le 28/11/2024 à 06:11
C’était en mars 2023. Une centaine d’experts scientifiques et d’industriels en nouvelles technologies appelaient à faire une pause de 6 mois dans le développement des nouvelles formes d’intelligence artificielle. Un peu comme si cette histoire d’IA s’emballait, que tout allait trop vite, trop loin, sans contrôle. Même Elon Musk avait signé pour ce moratoire… « Finalement, rien ne s’est fait, déplore Carlo Frising, directeur adjoint de la Chambre des salariés (CSL). La pause, le questionnement sur l’importance actuelle et à venir des technologies numériques dans nos vies, à l’école, au travail n’a duré que le temps d’un flash d’actualité. »
Ce 4 décembre, la CSL organise une rencontre avec un expert US de la relation éducation-avancées numériques. Et l’on sent bien qu’il y a là pour vous une vraie problématique…
Carlo Frising : « L’idée n’est pas d’être passéiste. Le train de l’IA est lancé et c’est un outil puissant qui va façonner notre futur, comme d’autres avancées ont bousculé l’ère industrielle. Il ne s’agit pas forcément d’une mauvaise évolution mais il ne faut pas en laisser la seule maîtrise au monde scientifique. L’intelligence artificielle et les technologies doivent être mis au service de la société pour supporter ou alléger le travail et les processus de décision, mais pas pour travailler à la place de, ni décider à la place de.
Si nous avons choisi d’aborder la question par l’éducation, c’est parce que c’est la 1ère marche de l’évolution d’une société. En matière d’apprentissage individuel, évaluation de feed-back et d’analyse de l’acquisition d’acquis ou, au contraire, de points faibles chez l’élève ces technologies peuvent avoir une approche fine dont on aurait tord de se priver. Mais est-ce ensuite à l’IA de définir quel contenu pédagogique elle doit ajouter ou retirer ? Un professeur sait s’adapter à la concentration de ses apprenants, à l’attention de sa classe, à tel temps fort ou faible de son cours; qu’en sera-t-il d’un algorithme ? Un élève dyslexique sera-t-il aussi bien pris en compte qu’avec un enseignant humain face à lui ? »
Se pose aussi la question du contenu des enseignements ?
« Effectivement. Qui décide de ce que la “machine” peut envoyer comme information ? On voit que l’accès à toutes sortes de données est possible, une IA sera-t-elle capable de distinguer le faux du vrai ? de ne pas réécrire l’Histoire ? d’adapter son langage à l’âge du sujet en face ? Nous en disons pas que l’IA sera monstrueux mais qu’il faut certainement mieux encadrer les choses. Si les contenus éducatifs sont transférés vers des sources privées, il faut vite fixer des limites. Je pense que sur le didactique c’est au secteur public, aux États, de garder la main.
En plus dans l’éducation, ira-t-on vers des systèmes à deux vitesses entre ceux qui auront accès à un certain degré de technologie et les autres ? »
Pour se faire une opinion
La conférence “Les technologies numériques dans l’éducation : risques et opportunités” organisée mercredi 4 décembre à la Chambre des salariés de Luxembourg (2 rue Pierre Henges) est ouverte à tous, et gratuite.
Elle débutera à 18h30, et une traduction anglais-français sera proposée. Inscription obligatoire (ici).
Selon vous, les mêmes réserves pourraient aussi s’appliquer à l’apprentissage professionnel ou la formation contenue de demain ?
« Exactement de la même façon ! Dès qu’un modèle technologique fait son entrée dans une entreprise, cela ne devrait pas pouvoir se faire sans le partenariat des salariés concernés. Eux, les utilisateurs, pourraient mieux en voir les travers, les possibles dérives, que les concepteurs. Et c’est maintenant que cette règle doit être posée, du temps que nous avons une IA encore “faible”. Dans moins de 5 ans, elle sera “forte” et dans 7 ans on aura une “super IA”.
Évidemment, selon les secteurs d’activité cette présence ou omniprésence du numérique sera plus ou moins forte. Mais un cabinet comme McKinsey estime que, d’ici 2030, 40% des tâches dans l’éducation pourront être automatisées. L’Europe -via son Cedefop (un comité qui l’oriente sur les questions d’enseignement et de formations professionnelles) évalue cette part à 30%. Cela reste très élevé. Il faut mettre des garde-fous donc pour que l’on ne donne pas à apprendre n’importe quoi, à n’importe qui, n’importe comment !
Par ailleurs, à qui confierions-nous ici nos enseignements sachant que les outils d’IA sont encore loin d’être produits dans l’UE, et encore moins dans la Grande Région ? Moi, donner cette “arme” à des types de la Silicon Valley qui partagent les mêmes idées que Trump, ça ne me dit pas… Tout comme je préfère que mon dossier de prêt à la banque soit étudié par un banquier que par un logiciel. Que je préfère que mes données personnelles ne soient pas exploitées dans tous les sens pour possiblement restreindre mes droits. Que je préfère l’éthique au tout informatique. »
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Qui ce Rob Weil que la Chambre des salariés à inviter pour cette conférence ?
« Un Américain, une pointure qui connait les métiers de l’enseignement (il a été prof de maths pendant plus de 20 ans) mais est aussi introduit dans le secteur du développement numérique. Il est en quelque sorte dans le secret des Dieux ! Depuis plusieurs années, ses travaux de recherche portent sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’éducation et l’avenir du travail.
Nous l’avons invité car il nous semblait intéressant d’avoir le regard de ce spécialiste du sujet, par ailleurs membre de la Fédération américaine des enseignants (AFT). Et puis il vient des États-Unis qui ont sans doute un temps d’avance sur nous. Il peut donc bien détailler quelles sont les opportunités et les écueils qui pourraient nous attendre si nous ne changeons pas la donne. »
La CSL édite régulièrement brochures et newsletters expliquant les droits des salariés.
Vous pouvez consulter gratuitement le site www.csl.lu où se trouve la rubrique “Vos droits”.
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