Ce 27 janvier 1945, 7.000 silhouettes au regard hagard voyaient arriver les soldats de l’Armée russe en libérateurs. Après avoir ôté la vie à plus d’un million de Juifs, tziganes, communistes, homosexuels et autres, le centre d’extermination en finissait de son œuvre macabre.

Huit décennies plus tard, chefs d’État, associations et familles des victimes vont se souvenir, ce lundi, de cette horreur. Laurent Moyse sera du déplacement en Pologne, au nom de la Fondation luxembourgeoise pour la mémoire de la Shoah.

Vous allez partir à Auschwitz-Birkenau pour les commémorations officielles, ce 27 janvier. Comment envisagez-vous ce déplacement ?

Laurent Moyse : « Je m’étais déjà rendu dans ce camp en Pologne à titre personnel il y a près de 35 ans. J’avais 26 ans et c’est peu dire que cette visite m’a marqué. Ne serait-ce parce qu’une partie de ma famille a péri là-bas. J’ai ressenti l’horreur sur place. Et ce que l’on imagine alors des atrocités subies s’incruste à jamais dans votre chair, dans votre âme. 

Cette fois, avec Luc Frieden, le Prince héritier et son épouse, j’aurais une autre casquette. Celle du président de la Fondation. Ce n’est plus seulement moi en somme mais tout un collectif que je vais représenter. Des vivants et des ombres. »

Ce 80e anniversaire de la Libération des camps de la mort se déroule dans un contexte particulier. Avec une Europe sous pression de la remontée des populistes et des extrémismes…

« C’est effectivement un triste parallèle entre ces années 40 et aujourd’hui. Les voix des modéré-e-s, les réflexions profondes sur le vivre-ensemble deviennent de moins en moins audibles. Elles existent mais les vociférations ou la dureté de certains propos l’emportent sur la modération. Les réseaux sociaux autorisent d’ailleurs certains à se déchaîner. Une bulle idéologique nauséabonde mais qui peut prospérer faute de régulation.

Aussi, le grand écho qui va être donné aux commémorations de la chute du nazisme, la mise en lumière du climat qui a conduit à ces atrocités, les visages de cette inhumanité poussée au dernier degré va faire réfléchir et mûrir certains. Je l’espère. »

Le temps qui passe fait disparaître les témoins de la Shoah. Il faut donc réinventer la transmission de cette période de l’Histoire ?

« La voix des contemporains de ces temps est effectivement en passe de s’éteindre. Il faudra transmettre l’Histoire et leur histoire sans plus compter directement sur eux. De l’importance, par exemple, pour la Fondation d’avoir pu cofinancer avec l’Université de Luxembourg ce Mémorial digital de la Shoah. C’est une fenêtre plus facilement accessible aux nouvelles générations, mais qui ne fait pas l’impasse sur ce qui a fait la Shoah.

Mais via ce travail, et la centaine de biographies qui y figurent, nous avons voulu parler de la Shoah à l’échelle humaine. Donc avec des récits humains. Une évocation de vies qui n’ont pas résisté à ce désastre mais aussi des existences qui ont connu un avant et un après Shoah. La vie a continué et l’on doit s’en réjouir. » 

Le Luxembourg n’est pas épargné par la recrudescence antisémite. Quelles sont les racines de ce mal ? 

« Longtemps, il y a eu cette illusion que l’Holocauste de 1939-45 allait finalement mettre fin au rejet de la communauté juive. Mais le phénomène a resurgi et aujourd’hui, au Grand-Duché, effectivement les graffitis, les insultes verbales, les messages de haine reviennent en nombre. Tantôt cela est porté par l’extrême droite, tantôt par une partie de l’extrême gauche (notamment à cause du conflit israélo-palestinien) mais le plus souvent par ces “vieux démons” que les crises attisent (les Juifs dominent le monde, ont tout l’argent…). 

Au passage, on peut regretter que le Luxembourg ne caractérise pas les agressions antisémites proprement dit, les intégrant aux actes racistes. Fort heureusement, au Luxembourg, les agressions physiques restent un phénomène vraiment mineur. Mais je le redis, après les mots, on peut vite passer aux gestes ! »

Les excuses de 2015

On estime à 1.200 “Juifs luxembourgeois”, le nombre de victimes des exterminations nazies. Sachant que dans ce nombre certains sont allés vers la mort dans l’un ou l’autre des 7 convois qui sont partis du Grand-Duché vers la “solution finale”. « Mais d’autres Juifs ayant vécu au Luxembourg ont été déportés après avoir été interpellés, en fuite, en Belgique ou en France », rappelle Laurent Moyse.

Si en France, le président Chirac avait reconnu la responsabilité de l’État dans la mise en place de la Shoah depuis l’Hexagone, le Luxembourg connaissait une situation différente. « Avec l’Annexion, c’est le IIIe Reich qui était aux commandes du pays ici. La nuance est importante. »

Toutefois, voilà dix ans, la Chambre des députés et le Gouvernement luxembourgeois ont adressé des excuses à la communauté juive. « C’était pour laver la honte d’avoir vu des fonctionnaires collaborer avec les Allemands et dénoncer des familles juives qui, pour certaines, ont disparu alors. »

 


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