Un peu partout en Europe, on observe des initiatives citoyennes telles que mettre des biens à la disposition des collectivités, développer des solidarités et des coopérations pour récupérer des logements abandonnés et éviter destructions et spéculations immobilières, des oppositions aux expulsions, des créations de forums et de plateformes dédiées… Ces initiatives demandent aux autorités publiques d’être ouvertes à la participation des citoyens.

Le problème le plus important auquel les européens sont actuellement confrontés est le logement ; c’est l’enquête européenne Eurobaromètre menée par la Commission européenne, qui le dit : 51 % des résidents seraient extrêmement préoccupés.

Les difficultés face au manque de logements décents et abordables

Une même difficulté pour l’ensemble des Européens : un manque de logements décents et abordables, une augmentation croissante des prix de l’immobilier – surévalué dans la plupart des pays – et dans le même temps des salaires qui ne suivent pas, poussant les ménages aux revenus faibles et moyens à s’endetter pour acquérir un bien.

En 2018, par exemple, en Suède considéré comme l’un des très mauvais élèves de l’UE à l’époque, où la dette de plus d’un tiers des ménages suédois représentait plus de 4 ans de salaires. Très vite noyés par le coût final du logement et de son entretien, les ménages ont dû mettre la clé sous la porte.

L’augmentation des prix de l’immobilier en Europe

Entre 2010 et 2020, Eurostat note ainsi une augmentation de 26 % des prix de l’immobilier dans 23 États de l’UE.

Douze pays ont franchi le seuil d’alerte parmi lesquels la République Tchèque (11 %), l’Allemagne (12 %), la Hongrie (9,7 %), la Lituanie (9,5 %), la Belgique (5 %), la Suède et le Royaume-Uni.
Si la France fait mieux que les autres pays, c’est en partie grâce à l’allocation logement (distribuée à 5,7 % des ménages les plus modestes). Le prix de l’immobilier y est tout de même, entre 1998 et 2017, multiplié par 2,5 alors que les salaires ne progressaient que de 1,5 sur la période considérée.

Lire : Immobilier Luxembourg : les prix ont augmenté de 13,9%

Les pays européens qui ont les plus fortes augmentations du prix de l’immobilier.

Pire, les plus fortes augmentations observées concernent l’Estonie (108 %), la Hongrie (91 %), le Luxembourg (89 %) et l’Autriche (77 %). Cerise sur le gâteau, le financement (rénovation/construction) de logements sociaux, longtemps négligé, est retardé en raison de la crise économique et sanitaire dans les pays européens.

L’habitat social n’est pas à la hauteur des besoins

Dès lors, il est devenu impossible pour la plupart des revenus les modestes d’acquérir ou bien de louer dans les conditions du marché. Parents isolés, familles nombreuses, jeunes travailleurs sont les premiers touchés et n’ont d’autres solutions que de se tourner vers l’habitat social (location). Mais voilà, démission ou bien négligence de la part des États, l’habitat social n’a pas suivi, jetant une frange non négligeable des populations pauvres dans la précarité (sans-abrisme).

Le président de Housing Europe (43.000 organisations dans 24 pays, 26 millions de logements) note dans son rapport de 2017 une situation extrêmement préoccupante : un Européen sur 10 dépense plus de 40 % de ses ressources pour se loger. Sans surprise, les jeunes sont massivement touchés, et avec la crise sanitaire, certains se sont retrouvés à la rue. Le rapport dressé en 2021 par la Fondation Abbé Pierre et la Fédération Européenne d’Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri (FEANTSA) est de ce point de vue également accablant. Le dysfonctionnement structurel des marchés du logement crée ainsi  misère et inégalités.

Face à la carence des États, les acteurs de la société civile se mobilisent depuis plusieurs années déjà. ONG de défense des droits de l’homme, associations d’habitants, associations caritatives, associations d’avocats et d’étudiants, groupements d’intérêts publics, experts de la question du logement… se mobilisent pour dénoncer mais aussi appeler de leurs vœux la réforme structurelle qui s’impose.

La mobilisation citoyenne…

Les formes de mobilisation pour le logement sont diverses. Parmi les initiatives, on observe que la colocation, qui permet de limiter les frais de logement, se développe fortement ces dernières années à l’initiative des habitants (en partenariat parfois avec certaines municipalités). Longtemps le fait d’étudiants fauchés, elle est devenue aussi bien le fait d’actifs jeunes ou moins jeunes que de certaines familles, lesquels n’ont pas d’autres choix que de partager leur lieu de vie avec d’autres. Diminuer la part du coût du logement dans leur budget est devenu une question de survie : pour 11 % d’entre eux, le loyer représente jusqu’à 40 % de leurs revenus.

Des résistances s’organisent également, comme à Berlin où 80 % des habitants sont locataires ; en 2019, 2020, 2021, l’engagement des habitants berlinois a été exemplaire. En 2019, 40.000 personnes ont manifesté afin d’interpeller les autorités publiques contre « la folie des loyers » qui chassent les plus pauvres à la périphérie. Leur objectif était de mettre la pression sur les autorités locales s’agissant des spéculations des géants européens de l’immobilier. Plus particulièrement visés Vonovia et Deutsche Wohnen dont les actionnaires sont le fonds de pension norvégien et l’américain Blackrock, responsables, selon les Berlinois, de la hausse du prix (exorbitant) des loyers.

Il y a quelques mois, nouvelle manifestation dans la capitale allemande impulsée par l’Association des habitants de Berlin pour réclamer un gel des loyers à l’échelle nationale ainsi que la construction de nouveaux logements sociaux et abordables. Si le gouvernement local de Berlin a bien entendu les revendications et tenté en 2020 de geler les loyers pour cinq ans, la Cour constitutionnelle allemande en a décidé autrement, rappelant que ce plafonnement est du ressort du seul gouvernement fédéral ! Sa crainte a surtout été de voir émerger les revendications des habitants de Stuttgart, Cologne, Munich et Francfort qui connaissent une situation similaire. Néanmoins, lors des législatives du 26 septembre 2021, les Berlinois ont été invités à participer à un référendum (controversé) sur la possible récupération de 240.000 logements appartenant à de grands groupes immobiliers.

Au pays de Galles, la campagne Back the Bill, lancée par l’Association caritative des sans-abri (Shelter Cymru) de concert avec une équipe d’experts spécialisés dans la question de l’égalité, de la justice sociale pour l’accès au logement, a porté ses fruits puisque le Parti travailliste gallois a accepté en novembre 2021, de passer un coopération agreement  avec Shelter Cymru, le but étant d’introduire le droit au logement dans la législation (Housing Rights).

En France, l’association Droit au logement, qui a 30 ans de lutte sur la question des expulsions, provoque des prises de position au plus haut niveau de l’État sur le relogement de milliers de familles en situation d’exclusion, des améliorations législatives, une meilleure prise en compte de l’exclusion par le logement dans les politiques publiques et de la crise du logement dans l’opinion, mobilisant de nombreuses personnalités, artistes, intellectuels, ONG (dont Médecins du Monde) qui se sont régulièrement impliqués sur le terrain. Le logement social demeure cependant toujours et encore la pierre d’achoppement de toutes les campagnes présidentielles.

Au Luxembourg, la Fondation IDEA à travers ses rapports, interpelle régulièrement les pouvoirs publics sur le problème du logement. Parmi les raisons identifiées : la difficulté à viabiliser les terrains constructibles qui sont entre les mains des privés à 90 %. Réforme de l’État, de son plan d’aménagement et d’urbanisme, financement du logement social y sont régulièrement débattus. En attendant, les jeunes et les travailleurs en mobilité professionnelle, en font les frais.

De manière générale, les mouvements d’habitants gagnent de l’espace et une parole : forum, mouvements altermondialistes, alliance internationale des habitants (NoVox International) et réseaux européens capables de lobbying auprès des autorités politiques comme la Fondation Abbé Pierre/FEANTSA ou bien l’association Built Europe qui regroupent de nombreuses fédérations nationales de promoteurs, constructeurs, aménageurs et qui a récemment publié un rapport sur cette question.

La solution réside, de manière évidente, dans le renforcement du processus d’élaboration collective et citoyenne de concert avec les gouvernements, leurs administrations et institutions pour une plus grande efficacité des politiques publiques dans ce secteur. La question ne saurait continuer d’être débattue entre les seuls spécialistes avec les résultats que l’on connaît.

Ce n’est qu’à ce prix qu’une société juste et pacifiée pourra se développer, cela dans l’intérêt de tous.

Martine Borderies

Sources :

La crise du logement à Berlin s’invite dans la campagne des législatives, Euronews.

Les Berlinois votent pour l’expropriation des grands promoteurs immobiliers, Les Echos.

Des mesures « révolutionnaires » pour enrayer la hausse des loyers à Berlin, lemonde.fr.

Housing in Europe – 2021 interactive edition – Products Eurostat News, Eurostat (europa.eu)

https://buildeurope.net/wp-content/uploads/2019/05/Build-Europe-Manifeste-court.pdf

Rapport sur l’accès à un logement décent et abordable pour tous (europa.eu).

Avis du Comité économique et social européen sur Un accès universel à un logement décent, durable et abordable dans la durée (avis d’initiative) (europa.eu).

Entreprises magazine, n° 112, mars-avril 2022

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