La partie débute il y a vingt-trois ans. Homme de défi et habile manieur de pions, le challenger tape dans l’œil du représentant de la discipline dans l’entreprise qu’il convoite. Son curriculum vitae fait un bond en haut de la pile. Quelques semaines plus tard, il parafe son contrat. « 1500 euros nets pour ouvrir des colis, à l’époque, c’était le pactole », se souvient Richard.

Virtuose du bluff, le soliste la joue au culot, distille « quelques mensonges par omission », dissimulant par exemple un piètre niveau d’anglais et une totale incompréhension du luxembourgeois dans un milieu où le bilinguisme s’avère être un minimum. Les dents qui rayent le parquet, Richard abat ses cartes, se familiarise à « l’anglais de rue » aux côtés des mécanos de la compagnie de transport. Il voyage, beaucoup, se constitue un large réseau, se passionne pour les échanges en langue étrangère, s’épanouit, au final.

« Ausländer raus »

Si bien qu’en un quart de siècle plus tard, il s’élève au rang de cadres « sans n’avoir jamais réclamé de promotion », touche 5200 euros nets d’impôts, ose quelques amorces de phrases en luxembourgeois qu’il finit en français.

« Cette multiculturalité, ce challenge ont fait que j’ai résisté », convient-il. Confronté dès son arrivée au « français de derrière la haie » et au « Ausländer raus » (littéralement : « étrangers dehors »), le Français encaisse, prend sur lui et ce même lorsque les diatribes frisent la borderline. « Je leur cherchais des excuses ridicules. Comme ils n’étaient pas majoritaires dans l’entreprise, je concevais qu’ils pouvaient ne pas se sentir chez eux ». Aujourd’hui, les salves sporadiques l’indiffèrent même si en tant que meneur d’hommes il doit parfois juger les litiges au sein de l’équipe.

Radios locales au volant

Affranchi des contraintes d’horaires, il prend le volant tantôt aux aurores, tantôt consécutivement aux heures de pointe, bifurquant au rythme des alertes diffusées sur les radios locales. Sans pour autant dénicher l’itinéraire miracle. « C’est une horreur. On ne s’y habitue jamais, avoue le Lorrain. Ceci dit, j’aime avoir mon autonomie, d’autant que j’ai besoin de mon véhicule pour me déplacer la journée ». Ses proches pâtissent de cette intensité frénétique. « C’est compliqué, souffle-t-il, je ne suis pas souvent là et suis régulièrement amené à me déplacer à l’étranger ».

A cinquante ans, Richard compte bien faire son jubilé au Grand-duché jusqu’au bout, sans pourtant renoncer à son esprit de compétition. « Avec les mêmes garanties salariales en France, j’y réfléchirai à deux fois et si c’est plus avantageux, je prendrai. Le challenge me stimule ».

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