Douze ans après la dernière grande réforme du système de retraite au Luxembourg, voilà le gouvernement qui a décidé de remettre le métier sur l’ouvrage. Et alors que la concertation nationale souhaitée par la majorité CSV-DP a tout juste débuté ce 7 octobre, voilà déjà les deux principaux syndicats du pays fronçant les sourcils, haussant le ton et bombant le torse. Patrick Dury pour le LCGB et Nora Back pour l’OGBL faisant « opposition commune » d’emblée.

Il est vrai que rien ne semble bien engagé aux yeux des deux structures. « Déjà, le sujet a été mis sur la table alors même que rien dans les programme des législatives des deux partis de la coalition actuelle ne remettait en question le mécanisme des pensions vieillesse ?  », souligne les deux présidents. Et de poursuivre d’une même voix : « On nous parle d‘urgence alors qu’il y a encore 25 milliards d’euros de réserve. À elle seule, cette somme permettrait de financer le système pendant quatre ans, sans même demander un cent de cotisation… »

Et puis, il y a la forme choisie qui irrite. Certes, OGBL et LCGB n’ont rien contre la concertation tous azimuts lancée, « mais voilà bien un pilier de notre système social luxembourgeois – les retraites- qui a toujours été débattu en tripartite. Soudainement, c’est oublié... » En effet, la ministre Martine Deprez en charge du dossier n’a pas annoncé son intention de réunir l’ensemble des partenaires sociaux (État, patronat, syndicats) pour réfléchir à l’avenir du système. Tout juste des rencontres avec les uns séparément des autres. « Pour notre part, nous irons à deux ! », répondent déjà à l’invitation Nora Back et Patrick Dury.

« Aucun des scénarios n’est devenu réalité ! »

Pour un dossier « aussi majeur pour la cohésion sociale » du pays, certes prendre le pouls du plus grand nombre est une bonne chose (par exemple, les avis citoyens sur le site internet spécialement créé, mais les syndicats veulent peser de tout leur poids. Par ailleurs, au vu de l’importance de la question, pourquoi ne pas laisser la parole finale aux citoyens et salariés concernés ? « Un référendum, voilà un vrai juge de paix », lancent les deux formations. Frontaliers, résidents : chacun pourrait alors dire si les pistes souhaitées par le gouvernement leur conviennent…

Pour les syndicats, il est également temps de dénoncer certaines fake-news qui bruissent autour de ce dossier, et d’avancer des propositions. Car oui, désinformation il y a, estime le front syndical. Quand il se dit que le système ne serait plus viable dès 2027 ? « Faux ! » Quand certains dénoncent des retraites de milliardaire versées : « Faux, aucune pension supérieure à 10.000 euros par mois n’existe. Et même celles de plus de 8.000 € ne représentent que 0,14% des retraites du régime général ».

Parmi les vérités à rétablir, selon LCGB et OGBL, il y a  par exemple le montant de la retraite moyenne versée aux résidents : 3.600 €/mois. Le fait qu’un tiers des pensions vieillesses sont inférieures à 2.500 € mensuels. Et que ce sont les femmes qui sont -nettement- les mois bien loties quand vient l’heure de toucher les prestations de la CNAP.

Tiens, la Caisse nationale d’assurance-pension justement : pourquoi les cotisations versées à cet organisme servent-elles à payer ses 230 fonctionnaires. « Ailleurs, c’est le budget de l’État qui prend en charge ces traitements. Si on dégageait cette somme, cela donnerait encore un peu plus de marge de manœuvre au système ! » Et d’autres dépenses incombant à la CNAP -loin de la question des allocations versées aux seniors- pourraient aussi lui être dispensées.

Pour les deux organisations syndicales, il est important de regarder les choses à 10 ans, comme actuellement. Extrapoler à plus longue échelle relevant de la boule de cristal. « Des projections sur le nombre de cotisants, de retraités, la dépenses, les recettes, on nous en a déjà données. En 1971, 77, 83, dans les années 1990 et aucun des scénarios n’est devenu réalité, souligne aussi Patrick Dury. Alors quand on me parle de ce qui arrivera en 2070, je souris… »

En cas de besoins

N’empêche que s’il faut réformer, OGBL et LCGB ont des idées à glisser dans le texte. Poursuivre le versement de l‘allocation de fin d’années aux retraités (max. 958,92 € pour 40 années d’assurance), maintenir le réajustement intégral des pensions sur le salaire minimum, réhausser le montant de la pension minimale (ou établir un crédit d’impôt pour les retraité-e-s les moins bien servi-e-), étendre les périodes cotisables pour les étudiants.

Mais si le gouvernement Frieden-Bettel souhaite toucher aux cotisations, alors chacun des trois partenaires doit s’impliquer. Entendez : pas uniquement ponctionner les salariés. Pourquoi ne pas restaurer l’impôt sur la fortune des personnes privées pour générer des recettes à verser dans le système des pensions ? Pourquoi ne pas déplafonner les cotisations des plus hauts revenus du Grand-Duché ? Pourquoi ne pas mettre les entreprises plus à contribution que ce soit via leur part de cotisation sur les revenus versés (8%) ou en taxant plus la valeur ajoutée ?

« En cas de besoins de financement, nous avons aussi des solutions, insiste Nora Back. Des solutions sociales et pas purement mathématiques ! Quand j’entends certains qui disent qu’il faudra rabaisser le niveau de nos pensions pour ne pas avoir à toucher à la valeur des cotisations et passer par des complémentaires pour assurer les revenus des seniors demain, je dis non. Ce n’est pas cela le système de solidarité entre salariés et entre générations que ce pays a voulu, instauré et fait vivre. C’est ce modèle qu’il faut garder ! »

Et cela sans toucher non plus à l’âge minimal de départ possible en pension vieillesse, concluent les syndicats. Le gouvernement voulait dialoguer, voilà deux voix qui n’ont pas l’intention de se mettre en sourdine !