Des propos outranciers tenus face aux représentants de son employeur : voilà des mots qui ont couté cher à ce salarié français. Sitôt prononcés, sitôt licencié pour faute grave et avec effet immédiat ! Pas de chance pour lui, ces insultes avaient été enregistrées à son insu lors de l’entretien et c’est ce son que la Cour de cassation française a admis comme preuve recevable !

L’affaire (n°20-20.648) avait déjà été à l’origine d’un contentieux devant les tribunaux. Mais la Cour d’appel avait écarté les enregistrements retranscrits, d’où la volonté de l’employeur de former un pourvoi en cassation. Sachant pourtant que, jusqu’alors, les juridictions civiles françaises retenaient comme irrecevable la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne mise en cause. Idem pour une preuve obtenue par une manœuvre ou un stratagème. Finalement, la “juridiction suprême” a décidé de changer de cap.

En effet, l’arrêt en cause retient que « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats » (paragraphe 12). Plus précisément, la Cour invite les juges à effectuer un véritable travail d’appréciation de l’opportunité de présentation des preuves par les parties.

Les critères à prendre en considération pour la Cour de cassation sont assez simples alors que les juges des juridictions inférieures devront dès à présent apprécier le caractère indispensable de la production des pièces, même obtenues de manière illicite ou déloyale.

Valable aussi pour le salarié

Au-delà du caractère indispensable, la violation du droit de la partie à qui l’on oppose des pièces devra être « strictement proportionnée au but poursuivi ».

Le Droit européen avait déjà ouvert la brèche et permis de dire recevable une preuve illicite avec les conditions d’indispensabilité et de proportionnalité ci-avant développés (CEDH, 10 octobre 2006, n°7508/02 et CEDH, 13 mai 2008, n°65087/01).

Pour en revenir au cas du salarié insultant, la décision de la Cour de cassation qui a cassé la décision de la Cour d’appel renvoie donc à une autre Cour d’appel l’affaire qui devra faire l’objet d’un nouveau débat sur le fond.

Dans ce cadre, la juridiction d’appel devra donc trancher quant au caractère indispensable des enregistrements effectués par l’employeur aux fins de prouver la faute grave du salarié, le cas échéant, se prononcer quant à la proportionnalité de l’atteinte aux droits du salarié.

« À notre sens, estiment les avocats de l’étude Jurislux, l’admission d’un tel moyen de preuve devrait nécessairement être acceptée par la Cour d’appel. »

Qui peut enregistrer qui ?

Même si a priori cette décision pourrait être assimilée à l’ouverture de la boîte de Pandore, en pratique elle semblerait intéressante à plusieurs égards. Tout d’abord, les juges disposeront toujours de la faculté, sur base des critères énoncés, d’écarter certaines preuves.

Ensuite, même si le cas d’espèce concerne des enregistrements effectués par l’employeur, cette décision est tout à fait transposable à l’inverse. Ainsi, un salarié harcelé par son employeur pourrait tout à fait prouver de tels faits par la production d’enregistrements retranscrits. De l’autre côté, les employeurs pourront plus facilement prouver des écarts de comportements non tolérables dans le cadre de l’entreprise.

Face à la difficulté extrême pour un salarié au Luxembourg de prouver ou de contre-prouver des faits dans une affaire de licenciement (l’employeur ayant souvent recours aux témoignages de salariés encore à son service qui, par peur de perdre leur emploi n’oseront jamais témoigner contre leur hirérarchie), se savoir “possiblement enregistrable” est une épée de Damoclès au-dessus de tout chef menaçant, injurieux, oppresseur. De quoi donc possiblement éviter certaines dérives…

En miroir, cela pourrait conduire à une attitude de crainte exacerbée entre employeurs et salariés, ce qui pourrait nuire à la bonne marche de toute société tant la confiance est un pilier important.

Et au Luxembourg ?

Enfin, nul doute que cette solution sera transposable devant les juridictions luxembourgeoises parfois inspirées par la Cour de cassation française. Mais avant cela ce pourrait déjà être le cas dans le Droit européen et la Cour européenne des Droits de l’homme qui a initié le mouvement de l’admission des preuves illicites.

——————————————

Texte réalisé en collaboration avec

Me Pascal PEUVREL                                                                     Quentin GAVILLET

Avocat à la Cour                                                                              Avocat

JURISLUX SARL

pascal.peuvrel@jurislux.eu