Le recel successoral : comment cacher une partie de son héritage ?
Publié
par
EddyThaux
le 23/09/2021 à 06:09
Le recel successoral est constitué, pour un successible, par le fait de dissimuler certains effets de la succession afin de se les approprier indûment et d’en frustrer ainsi les autres ayants droit. Le recel porte sur des biens ou des droits d’une succession, dans une situation d’indivision successorale.
Le recel successoral est une fraude commise sciemment
Au sens de l’article 792, le recel successoral est constitué par toute fraude commise sciemment par un héritier dans le but de rompre l’équilibre du partage et quels que soient les moyens utilisés pour y parvenir (Jurisclasseur art.777 à 783 fasc. 20, mise à jour 11, 1996, n°58, p.11).
L’article 792 vise toutes les fraudes au moyen desquelles un héritier cherche, au détriment de ses cohéritiers, à rompre l’égalité du partage, soit qu’il divertisse des effets de la succession en se les appropriant indûment, soit qu’il les recèle en dissimulant sa possession dans les circonstances où il serait, d’après la loi, tenu de les déclarer.
« Il s’agit donc d’une fraude destinée à rompre l’égalité du partage. Le recel successoral, qui peut porter sur tous les éléments d’une succession qu’ils soient meubles ou immeubles, est un délit civil sanctionné par une peine privée qui est une véritable punition imposée par la loi au receleur. Cette peine privée revêt un double aspect: d’une part, l’héritier receleur se voit imposer la qualité d’acceptant pur et simple et, d’autre part, il est privé de tous ses droits dans les biens recelés. » (Cour 20 février 2002, 32, 213)
Il est important de noter que « la charge de la preuve incombe à la partie qui invoque le recel et que cette preuve doit porter tant sur un élément matériel que sur un élément moral, à savoir un fait de nature à fausser l’équilibre successoral et la mauvaise foi. » (Cour 20 février 2002, 32, 213 ; Cour d’appel du 7 octobre 2020, n° du rôle CAL-2019-00874).
L’élément matériel : détournement ou dissimulation
L’élément matériel du recel consiste en « un détournement ou une dissimulation d’un bien ou d’une créance du défunt. » (Cour 24 mars 2004, 32, 607).
Mais la jurisprudence étend les sanctions du recel à toute manœuvre quels que soient les moyens employés, et à tout acte de nature à briser l’égalité du partage ou à modifier la vocation héréditaire (Cour d’appel du 7 octobre 2020, n° du rôle CAL-2019-00874 ; également Cass. civ. 15 avril 1890, DP 1890.1.437 ; Cass. req. 19 décembre 1927, S. 1928.1.142 ; Cass. civ. 11 juillet 1893, DP 1893.1.561 ; 24 oct. 1932, DH 1932.537 ; 30 déc. 1947, somm. 25).
La preuve de l’élément matériel comme pour tous les faits juridiques, est libre, et peut « se faire par tous moyens, même par témoins et présomptions et les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation quant aux circonstances constitutives du recel » (Cass. fr. 1ère civ., 10 mars 1993, JurisData n°1993-000417; Bull. civ. 1993, I, n° 109; JCP N 1993, II, p. 331).
Au travers des jurisprudences, on peut considérer que le recel successoral sera constitué dès lors que le but de la manœuvre de l’ayant droit successoral aura été de tenter d’accroître indument ses droits dans la succession dont il est l’un des héritiers.
Quelques cas précis de tentative d’augmenter des droits de succession
On peut citer à titre d’exemple plusieurs cas retenus par la jurisprudence :
- « le fait de dissimuler des retraits de fonds effectués sur des comptes ou sur des livrets du défunt en vertu d’une procuration constitue notamment l’élément matériel du recel successoral » (Tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 2 mars 2012 n° du rôle 135214) ;
- « la présentation d’un faux testament figure parmi les manœuvres frauduleuses que la jurisprudence a eu l’occasion de retenir dans le cadre du recel successoral » (Cass. fr 1ère, 5 mars 2002, JurisData n°2002-013458 ; JCP N 2002, n°22, n°101) ;
- « la soustraction ou la dissimulation de biens dépendant de la succession tel les retraits de sommes d’un compte bancaire » (CA Paris, 2 décembre 1987) ;
- « l’enlèvement secret de biens se trouvant chez le défunt ou en dépôt chez un tiers, par la rétention silencieuse de biens héréditaires détenus à titre précaire, notamment en vertu d’un contrat de mandat, de prêt ou de dépôt, ou encore par un acte constatant une vente fictive » (Tribunal d’arrondissement de Diekirch du 8 octobre 2013, n° du rôle 11529) ;
- l’omission d’un héritier (Tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 16 octobre 2013, n° du rôle 141748, application de l’arrêt de la Cour de cassation du 20 septembre 2006) ;
On peut constater que le recel résulte aussi bien d’une manœuvre positive (enlèvement, production d’un faux) ou négative (non-restitution), que d’un simple mensonge (supposition d’une créance, dénégation d’une donation ou d’une dette, minoration de la valeur d’un bien) ou même d’un pur silence (non-révélation d’une libéralité, omission d’un bien à l’inventaire.
De plus, il est indifférent que le recel ait été préparé avant l’ouverture de la succession, dès lors qu’il s’est prolongé après (Michel Grimaldi, op.cit., p.444, no 473).
L’élément moral doit être déterminé par l’héritier lésé
La preuve de l’élément moral incombe à celui qui s’en prévaut conformément au grand principe « Actori incubit probatio ».
« Ce n’est donc pas à celui contre lequel est dirigée une action en recel successoral à établir qu’il était dépourvu d’intention frauduleuse dès lors que la bonne foi est toujours présumée » (Cour d’appel du 20 février 2002, n° du rôle 25341).
L’intention frauduleuse exige, pour être constituée, la preuve de la volonté affirmée du receleur de dissimuler l’existence du bien ou de la créance litigieuse. « Or une telle preuve à caractère psychologique, est très malaisée à apporter, et, en pratique, ne peut découler que de la conviction des juges du fond dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation » (Jurisclasseur civil, successions art. 777 à 783 fasc. 20).
Il s’agit de « la volonté délibérée de l’héritier receleur de créer une inégalité à son profit et aux dépens de ses cohéritiers » (Cour 24 mars 2004, 32, 607).
Il faut que celui-ci ait conscience de frauder les créanciers successoraux ou ses cohéritiers.
La mauvaise foi ou l’intention de frauder est importante
La mauvaise foi ou intention frauduleuse est essentielle au recel. Le successible doit avoir voulu s’approprier un effet de la succession en faisant bon marché du droit des autres. La fraude suppose la dissimulation. Le successible agit nécessairement de façon clandestine pour ne pas s’exposer aux protestations et à la résistance de ses cohéritiers. S’il procède ouvertement, il appartient aux autres de se défendre.
Il n’y aura pas de recel en cas de bonne foi et ce même si l’acte matériel est constitué. « Il n’y a donc pas recel, au cas où l’héritier a été dans l’erreur au sujet du bien qu’il est soupçonné d’avoir dérobé. Il ignorait, par exemple, qu’une chose, qu’il détient du de cujus, lui a été remise seulement à titre de prêt. Ou bien, il ne savait pas que la donation, qu’il a reçue du de cujus, doit être rapportée à la succession pour lui être mise en compte sur sa part successorale » (cf. M. WATGEN, Successions et donations, 5ème édition 2015, p. 111).
Les deux conditions à savoir matériel et moral sont cumulatives et non alternatives.
Les sanctions
Les sanctions du recel successoral sont prévues à l’article 792 du Code civil qui dispose « les héritiers qui auraient diverti ou recelé des effets d’une succession sont déchus de la faculté d’y renoncer, ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recelés ».
Le recel successoral est un délit civil « sanctionné par une peine privée qui est une véritable punition imposée par la loi au receleur. Cette peine privée revêt un double aspect: d’une part, l’héritier receleur se voit imposer la qualité d’acceptant pur et simple et, d’autre part, il est privé de tous ses droits dans les biens recelés » (Cour 20 février 2002, 32,213).
Cependant une question s’est posée dans l’hypothèse de l’omission d’un héritier à savoir quelle sanction appliquer ?
En effet, l’article 792 du code civil prévoit que les héritiers qui ont recelé les effets d’une succession ne peuvent prétendre à aucune part dans les objets recélés. La question qui se pose est celle de savoir si les objets recélés sont ceux composant toute la masse successorale ou s’ils ne sont constitués que de ceux dont a été privé l’héritier évincé.
« Le tribunal estime qu’il y a lieu de retenir cette deuxième solution, alors qu’elle est conforme au texte de l’article 792 du code civil et que retenir l’autre solution mène à une sanction excessive (cf. dans ce sens : note Jacotot, Dalloz 2006, 2969) » (Tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 16 octobre 2013, n° du rôle 141748).
Finalement la sanction prévue par le Code civil est double. D’une part, l’héritier receleur est déchu de l’option successorale. Il est réputé acceptant pur et simple. « Les créanciers du de cujus peuvent donc saisir non seulement les effets dissimulés, mais également les autres biens de la succession » (cf. M. WATGEN, Successions et donations, 5ème édition 2015, p. 110).
D’autre part, l’héritier receleur sera privé de sa part dans les biens recelés qui seront donc partagés par les autres cohéritiers.
Si l’héritier receleur est seul héritier, il recueille toute la succession sans retranchement. Par contre, il est réputé avoir accepté la succession purement et simplement. Il doit donc payer les dettes successorales, même au- delà de l’actif de la succession.
Me Pascal PEUVREL Me Fabrice BRENNEIS
Avocat à la Cour Avocat à la Cour
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